dimanche 13 mars 2016

RENONCEMENT ET ATTENTION

Nous sommes envahis par un sentiment d'impuissance, et trop souvent de découragement. Au point que nous attendons notre salut d'un homme providentiel tout en sachant que notre système politique ne lui laissera jamais la chance d'arriver au pouvoir si tant est qu'il existe… L’État tentaculaire et omniprésent dont nous dépendons toujours plus, échappe progressivement à notre contrôle et notre pouvoir.  La mascarade politique dont nous sommes les arbitres sans en être les acteurs soulève la problématique du pouvoir. Nous avons renoncé à maîtriser notre destin. Comment en sommes-nous arrivés là ? Ce paradoxe de nos sociétés démocratiques nécessite d'être approfondi pour ne précisément pas tomber dans la désespérance....

Deux lectures croisées nous aideront dans cette recherche. Celle du livre de Chantal Delsol « l'âge du renoncement »[1] et celle du livre de Matthew B. Crawford « contact-pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver »[2].

Nous avons en grande partie perdu le contrôle de nos vies, de ce que nous faisons, de ce que nous construisons, de ce que nous devenons, de notre destin. Comment avons-nous ainsi pu consentir à ces renoncements au point que Chantal Delsol évoque le développement monopolistique de l'utile qui prend le pas sur le vrai et l'instrumentalisation de la vérité au profit de l'utile ?

Cette perte de contrôle s'observe à tous les niveaux, dans tous les domaines.
La monnaie a pris le dessus sur l'économie ;  le directeur financier de nos entreprises a pris le pas sur tous ses autres dirigeants.
Le juridisme domine le droit et la justice.
Le sexe fragilise l'amour.
Une forme de médicalisation de questions relevant autrefois de la morale a relégué le questionnement moral aux oubliettes.
L'enseignement n’a plus pour objet que la formation d'excellents techniciens ; c’est le règne de l'ingénieur .
Le laïcisme élimine le religieux.
L'homme fatigué par sa journée de travail s'avachit devant sa télévision et regarde avec passivité ce qu'on lui propose en renonçant à exercer son libre arbitre et sa faculté de choix.
Le joueur de casino est mu par la frénésie du jeu et non pas par la recherche du gain (l'analyse qu'en fait Matthew B. Crawford est passionnante…).

Le but de nos activités est devenu l'activité elle-même. Ce n'est plus le contenu de notre pensée qui compte mais la façon dont nous y parvenons. Le curseur s'est déplacé de la fin vers le moyen, de l'objectif vers l'outil. Matthew B. Trawford explique que le critère de la rationalité n'a plus rien de substantiel, il devient exclusivement procédural ; ce qui implique un déplacement du critère de la vérité : celui-ci n'est plus dans le monde, mais à l'intérieur de notre tête ; il devient une fonction de nos procédures mentales. De telle sorte que notre attention a définitivement changé de cible. Elle ne consiste plus à nous permettre de rencontrer le réel mais de construire une représentation mentale du monde.

Chantal Delsol explique que nous avons basculé dans un système de recherche permanente du consensus grâce aux négociations et aux compromis dans lequel on ne discute plus sur des vérités mais sur des intérêts. Un système qui nie l'autorité et la hiérarchie, dans lequel l'échelle n'est plus le temps mais l'espace. Monde de la gouvernance, sans buts, dans lequel l'existence se réduit au seul chemin.

La clé de compréhension se trouve dans ce que Chantal Delsol appelle le renoncement et dans ce que Matthew B. Crawford dénonce comme la perte de l’attention lorsqu'il invite son lecteur à « ne pas se laisser absorber par le discours abstrait qui se déploie dans sa tête, mais à  prêter tout simplement attention à ce qui se passe juste sous ses yeux » ; s'inspirant ainsi de Wallace pour qui la capacité d'orienter notre attention à notre guise est une condition essentielle de la vie bonne. Cette vie bonne dont Chantal Delsol dénonce qu'elle ne soit plus le centre de notre civilisation…

S’agissant de l’attention qui est le thème central de sa réflexion Matthew Crawford cite Simone Weil : « il y a quelque chose dans notre âme qui répugne à la véritable attention beaucoup plus violemment que la chaire ne répugne à la fatigue. Ce quelque chose est beaucoup plus proche du mal que la chair. C'est pourquoi toutes les fois qu'on fait vraiment attention, on détruit du mal en soi. ». D'où il résulte la nécessité d'une pratique ascétique de l'attention. Matthew B. Crawford nous invite à une érotique de l’attention.

Nous pouvons conclure que la solution se trouve dans notre approche du réel et de sa connaissance, à travers notre attention ; notre souci de rester connecté à la réalité et de ne pas nous laisser déconnecter de cette dernière par toutes nos procédures, nos outils, nos moyens sur lesquels on nous focalise afin de nous distraire de l’essentiel.

Non, la solution ne viendra pas toute seule. Elle ne tombera pas du ciel. Elle ne sortira pas d'une élection, brutalement, comme par miracle en 2017, en 2022, en 2027. Elle sera le résultat de la seule vraie révolution qui vaille, celle de notre regard sur le monde et de l’affirmation de notre volonté de nous y immerger afin d’en maîtriser les évolutions. Nous devons reprendre le pouvoir dans tous les domaines de notre vie, pour espérer qu’un jour le pouvoir politique réponde à nos besoins et non pas à son pouvoir propre qui se nourrit des procédures et des artifices dont nous avons accepté qu’elles nous détournent du réel.



[1] http://www.amazon.fr/L%C3%A2ge-du-renoncement-Chantal-Delsol/dp/2204095133/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1457906319&sr=8-1&keywords=age+du+renoncement
[2] http://www.amazon.fr/Contact-Matthew-B-CRAWFORD/dp/2707186627/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1457906389&sr=8-1&keywords=CRawford









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