dimanche 21 février 2016

VERDUN ET NOUS

En ce centième anniversaire du début de la bataille de Verdun comment ne pas par relire ces vers de Charles Péguy ?

Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.
Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle.

Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,
Couchés dessus le sol à la face de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts sur un dernier haut lieu,
Parmi tout l'appareil des grandes funérailles.

Heureux ceux qui sont morts pour des cités charnelles.
Car elles sont le corps de la cité de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu,
Et les pauvres honneurs des maisons paternelles.

Car elles sont l'image et le commencement
Et le corps et l'essai de la maison de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts dans cet embrassement,
Dans l'étreinte d'honneur et le terrestre aveu.

Car cet aveu d'honneur est le commencement
Et le premier essai d'un éternel aveu.
Heureux ceux qui sont morts dans cet écrasement,
Dans l'accomplissement de ce terrestre voeu.

Car ce voeu de la terre est le commencement
Et le premier essai d'une fidélité.
Heureux ceux qui sont morts dans ce couronnement
Et cette obéissance et cette humilité.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans la première argile et la première terre.
Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre.
Heureux les épis murs et les blés moissonnés.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans la première terre et l'argile plastique.
Heureux ceux qui sont morts dans une guerre antique.
Heureux les vases purs, et les rois couronnés.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans la première terre et dans la discipline.
Ils sont redevenus la pauvre figuline.
Ils sont redevenus des vases façonnés.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans leur première forme et fidèle figure.
Ils sont redevenus ces objets de nature
Que le pouce d'un Dieu lui-même a façonnés.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans la première terre et la première argile.
Ils se sont remoulés dans le moule fragile
D'où le pouce d'un Dieu les avait démoulés.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans la première terre et le premier limon.
Ils sont redescendus dans le premier sillon
D'où le pouce de Dieu les avait défournés.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans ce même limon d'où Dieu les réveilla.
Ils se sont rendormis dans cet alléluia
Qu'ils avaient désappris devant que d'être nés.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont revenus
Dans la demeure antique et la vieille maison.
Ils sont redescendus dans la jeune saison
D'où Dieu les suscita misérables et nus.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans cette grasse argile où Dieu les modela,
Et dans ce réservoir d'où Dieu les appela.
Heureux les grands vaincus, les rois découronnés.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans ce premier terroir d'où Dieu les révoqua,
Et dans ce reposoir d'où Dieu les convoqua.
Heureux les grands vaincus, les rois dépossédés.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans cette grasse terre où Dieu les façonna.
Ils se sont recouchés dedans ce hosanna
Qu'ils avaient désappris devant que d'être nés.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans ce premier terreau nourri de leur dépouille,
Dans ce premier caveau, dans la tourbe et la houille.
Heureux les grands vaincus, les rois désabusés.

- Heureux les grands vainqueurs. Paix aux hommes de guerre.
Qu'ils soient ensevelis dans un dernier silence.
Que Dieu mette avec eux dans la juste balance
Un peu de ce terreau d'ordure et de poussière.

Que Dieu mette avec eux dans le juste plateau
Ce qu'ils ont tant aimé, quelques grammes de terre.
Un peu de cette vigne, un peu de ce coteau,
Un peu de ce ravin sauvage et solitaire.

Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Vous les voyez couchés parmi les nations.
Que Dieu ménage un peu ces êtres débattus,
Ces coeurs pleins de tristesse et d'hésitations.

Et voici le gibier traqué dans les battues,
Les aigles abattus et les lièvres levés.
Que Dieu ménage un peu ces cœurs tant éprouvés,
Ces torses déviés, ces nuques rebattues.

Que Dieu ménage un peu ces êtres combattus,
Qu'il rappelle sa grâce et sa miséricorde.
Qu'il considère un peu ce sac et cette corde
Et ces poignets liés et ces reins courbatus.

Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Qu'ils ne soient pas pesés comme Dieu pèse un ange.
Que Dieu mette avec eux un peu de cette fange
Qu'ils étaient en principe et sont redevenus.

Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Qu'ils ne soient pas pesés comme on pèse un démon.
Que Dieu mette avec eux un peu de ce limon
Qu'ils étaient en principe et sont redevenus.

Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Qu'ils ne soient pas pesés comme on pèse un esprit.
Qu'ils soient plutôt jugés comme on juge un proscrit
Qui rentre en se cachant par des chemins perdus.

Mère voici vos fils et leur immense armée.
Qu'ils ne soient pas jugés sur leur seule misère.
Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre
Qui les a tant perdus et qu'ils ont tant aimée.

Cette lecture s'accompagne d'une méditation sur le mystère du don ultime de nos illustres aieux pour la patrie et ses enfants. Cette méditation à laquelle les célébrations nous invitent nous interroge. Après un siècle, après tant d'autres morts, après les camps, les déportations, les exterminations: Pourquoi ? Non par pourquoi cet engagement sublime de chacun, ce sacrifice de leur vie, mais pourquoi le leur avoir demandé ?

Et puis, par ce que cette première interrogation n'est pas suffisante, en vient une seconde : Qu'avons-nous fait du legs qu’ils nous ont fait de leurs vies ? Quels enseignements en avons-nous tiré ? Quelles leçons ?

À la première question, la réponse est dans la folie d'un nationalisme qui met la nation au-dessus de tout. Pourquoi l'une d'entre elles serait-elle supérieure aux autres ? Ce qui nous renvoie à la nécessité d'admettre qu'il y a une égalité essentielle entre les nations mais que chacune d'entre elles a sa spécificité, ses particularités accidentelles, qui font que ses enfants y trouvent de quoi constituer leur identité propre ; sans que celle-ci, elle-même accidentelle, et non pas essentielle, soit non plus supérieure aux autres !

À la deuxième question, force est d'admettre que nous n'avons pas de réponse. Comme si nous n'avions rien compris. Nous avons bradé la nation au rang des vielleries ou des horreurs du nationalisme ; comme on jette le bébé avec l’eau du bain. Elle n'a plus de prix. Qui irait se faire tuer pour elle ? Le sacrifice de nos poilus nous est incompréhensible. Nos enfants le regardent, comme une incongruité historique. Notre époque et notre temps ont-ils dépassé le stade de la barbarie. Comme si tout se réduisait aux folies du nationalisme....  Nous sommes des héritiers ingrats, des débiteurs insolvables. Nous croyons que c'est en refusant les particularités et les spécificités des nations que nous éviterons les dangers des nationalismes exacerbés; alors qu'en réalité nous jetons les semences d'un internationalisme fou, sans racines, sans identité. Un internationalisme qui est le lit de tous les excès, de toutes les horreurs et de tous les drames. Le nationalisme et l’internationalisme sont le fruit de la même erreur.

Voilà qui nous renvoie à notre actualité, un siècle plus tard.

Face aux barbares islamiques qui nous tuent par idéologie, au nom d'un dévoiement de la foi, nous répondons par l'incrédulité, l'incompréhension ou le refus d'admettre la réalité c'est-à-dire que nos nations valent le prix du sang ; alors que nos grands-pères nous ont versé le leur pour nous…

Face aux vagues de clandestins qui progressivement viennent s'implanter chez nous au risque de transformer notre nous commun, notre identité, nous sommes dans l'incapacité de justifier la puissance de ce qui fait la patrie dans la nation pour proposer un sens à la vie sociale sur notre sol…

Formons un voeu.

Que l'exemple de nos poilus que nous allons méditer, dans la commémoration de l'horreur des tranchées de Verdun, des orages d'acier qu'ils ont subis, nous aide à comprendre ce que peut-être la nation sans l'idéologie du nationalisme ni l’illusion de l’internationalisme ; qu’il nous fasse mesurer avec la puissance d’évocation des vers de Charles Peguy et du témoignage de tant d’autres, que la nation doit être préservée comme la prunelle de nos yeux par ce que, pour reprendre une fois encore les paroles de Saint Jean-Paul II « la Nation fait en nous l'humain ».


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